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Un sentiment de vie

de Claudine Galea, mis en scène par Emilie Charriot

tout avec rien

Il n’y a rien. Mais alors rien du tout. Pas le moindre décor. Pas la moindre bande son. Même les lumières sont minimalistes, changeant imperceptiblement, sans même qu’on les remarque. Le costume s’oublie lui aussi. Il n’y aura donc que Valérie Dréville au plateau, seule, en scène. Oh pas de ces seul en scène pitoyables avec des humoristes bas de gamme qui viennent là distraire à peu de frais les gens qui veulent oublier qu’ils existent. Non ici ce sera un seul en scène qui nous rendra très présents, tous présents. Le public est là, pris en compte. C’est à lui qu’on parle. Parce qu’il y a aussi ce texte de Claudine Galea. Un texte qui aurait pu s’adresser à un autre auteur, Falk Richter, parce qu’il est sans le savoir l’alibi même de ce texte, c’est parce que lui va parler de sa famille dans My Secret Garden que Claudine Galea va décider de parler de la sienne de famille. Enfin de son père surtout. De son père qui meurt. Alors là, oui on se dit qu’on est très loin des seul en scène des humoristes. Mais non, on rit à l’évocation des anecdotes familiales, des coups de gueule aussi, quand tout cela s’entrechoque avec la grande histoire, quand elle évoque Frank Sinatra, quand elle raconte l’opposition farouche entre ses parents. Et au-delà de ces rires, vient l’émotion, l’émotion que l’on ressent quand elle nous parle de cet homme, son père donc, atteint d’un cancer, qui ne peut plus conduire, que sa fille doit conduire à l’hôpital, qui se retrouve à seulement pouvoir tourner le bouton de la radio, au moment même où l’on annonce la mort de son chanteur préféré. Une sorte de boucle. Une sorte de reflet. Et tout cela avec rien donc. Juste la voix. Et le corps planté comme un piquet. Il y a juste les bras qui dansent. Les bras qui deviennent l’expression même de ce sentiment de vie qui s’incarne là, quand les deux mains s’envolent dans les airs, quand on ne voit plus qu’elles. Ce sentiment de vie dont parle Claudine Galea c’est quand on risque de la perdre qu’il semble pointer le bout de son nez. Ce moment où l’on n’est plus grand chose. Ce moment où il ne reste rien.  Seulement l’essentiel. L’essentiel pour faire théâtre perspicacité d’Emilie Charriot qui signe là la mise en scène. Valérie Dréville est tout simplement magistrale. Tout en épure. Tout en maîtrise de son art. Une maîtrise qui convie au sensible. A l’humanité.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Bouffes du Nord, Paris
photographie :
Jean-Louis Fernandez