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Austerlitz

Gaelle Bourges

soirée diapo

On connaît Gaelle Bourges pour ses spectacles qui mêlent danse et histoire de l’art, toujours pointus, documentés, fins surtout, malicieux. On la connaît aussi pour son rapport à la nudité, désexualisé, simple, essentiel. Et la voilà sur un tout autre terrain, celui de la mémoire et celui là même de la mémoire de ses propres interprètes. Des mémoires en fait qui s’entrelacent et qu’elle va encore plus enchevêtrer en y mêlant des histoires qui appartiennent à l’Histoire avec un grand H. Tout du long de la pièce c’est sa voix qu’on entend, la plus neutre possible, même si l’on distingue nettement le sourire de la chorégraphe au travers des anecdotes tantôt insignifiantes, tantôt absurdes. Elle tisse un récit dans lequel on se perd parfois, un récit à trous qu’il nous faut bien sûr combler, où les coïncidences sont parfois forcées et parfois fortuites, opportunes, comme s’il existait des noeuds dans l’espace temps, comme si finalement tout se mettait en place suivant un dessin (je ne sais comment l’écrire) un dessin bien ordonné, relevant presque du destin. Ce texte, ce conte pourrait-on dire tant il joue sur la distance nécessaire entre vérité et fiction, est véritablement séduisant, permettant par le truchement de l’expérience la plus singulière, celle des interprètes, de ramener dans nos mémoires des événements plus personnels : comme eux, nous avons dans nos familles ces photos dont on ne sait plus qui elles représentent, quel lieu, quelle histoire. Une mémoire qui s’efface. Et au plateau c’est un jeu d’entrée sortie pour venir donner corps à une image projetée, reproduire la pose alors même que le corps a changé, vieilli. Et tout se déroule derrière un tulle. Et tout est entre noir et blanc, camaïeu de gris. C’est une soirée diapo en somme. Et le risque est grand de nous perdre totalement, tant c’est le genre même de soirée que l’on préférerait éviter. Ces soirées où l’on se sentait piégé à devoir regarder les autres en réflection dans leurs souvenirs, ces soirées que l’on ne pouvait interrompre tant cela aurait signifié notre manque d’intérêt. Gaelle Bourges avec ce dispositif ne nous facilite pas la tâche. Elle nous tient à distance. Sa voix monocorde, l’écran entre eux et nous, l’absence de couleur, la succession de scènes sans lien apparent entrecoupées de noir au plateau. Et surtout cette bande son saturée, presque criarde, disharmonieuse qui oblige parfois à tendre l’oreille. On ose croire que ce dernier point est dû à des réglages défaillants de la régie son du Centre dramatique national de Montreuil (on a écouté la bande et le son aurait pu être plus propre, moins âpre). Mais cette distance c’est justement cette difficulté que nous avons à nous ressouvenir. Cette distance c’est l’ailleurs en nous. Cette distance c’est le trou dans le bonheur. Un mal nécessaire qui appelle une guérison avec défaut. Pas une guérison totale. Mais une guérison pour des gens qui reviennent de leur passé, chargés de leur passé. Ils y ont laissé des plumes. Il y a des regrets, des remords. Comme cette maternité souhaitée, jamais réalisée, mais qui donne lieu à d’autres maternités justement. Il y a donc des défauts. Des défauts qui nous signalent notre aptitude à remonter de la cave et à avancer, conscients de ce que nous avons traversé. Ça peut sembler manquer d’espoir. Mais n’est-ce pas plus réaliste, conforme à la réalité ?

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Théâtre Public de Montreuil
photographie :
Danielle Voirin