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La terre

d’après le roman d’Emile Zola<br /> Mis en scène par Anne Barbot<br />

plus vrai que nature

Alors là chapeau. Incroyable surprise. Et surtout quel sens du kaïros, le moment opportun. Cette pièce qui traite de la crise du monde agricole, alors même qu’on en vit une. Bravo. Vous me direz que le monde agricole est en crise depuis le 19e siècle, oui ok. Que donc elle avait toutes les chances de tomber juste. Mais là, les mots de Zola dont s’inspire la pièce semblent d’une actualité brûlante, d’une vérité sidérante. Cela tient peut-être aussi à l’adaptation qu’en fait Anne Barbot. Adaptation limpide qu’elle aura su agrémenter, au gré de rencontres avec des agriculteurs d’aujourd’hui. On en voit des metteurs en scène qui s’essaient à fréquenter leurs contemporains pour en décrire le quotidien à la manière d’un théâtre documentaire, comme si justement ils étaient à court d’histoires. Là on est très loin de cet opportunisme tant cette pièce fleure bon la sincérité à défaut de sentir véritablement le fumier. Sincérité parce que les paysans sont dépeints aussi bien avec leurs qualités que leurs défauts, sans exotisme mal placé que nous urbains, nous pourrions avoir. Et c’est une sacrée leçon pour ceux qui ne comprendraient pas le problème, le même qu’hier : le libéralisme, le libre échange. La concurrence, selon le dogme, devrait être libre et non faussée mais en fait, les produits des autres qu’on importe sont fatalement moins chers, puisqu’ils n’ont pas les mêmes normes sociales, les mêmes normes environnementales. Le produit a la même appellation, mais il n’est pas le même. Et cette concurrence qu’on justifie par l’appel du progrès, par l’obligation à se moderniser détruit des vies dans le silence le plus assourdissant.

Au-delà de ce tableau fidèle, la qualité de cette pièce se déploie ailleurs, plus loin. Parce qu’en fait il s’agit bien de théâtre. Non seulement Le roi Lear est convoqué à plein avec ce père qui attribue son héritage de son vivant, ou encore Le marchand de Venise lorsque l’argent due est réclamée. Mais aussi Tchekhov avec ces personnages qui ne comprennent pas que leur monde est fini et qui font tout pour continuer à vivre comme avant. Ce décor aussi qui se démonte à mesure que les personnages s’appauvrissent. Surtout il y a cette troupe d’acteurs qui mènent tambour battant ce texte avec une fluidité, un naturel qui pousse à l’admiration. Rien ne semble joué, tout semble plus vrai que nature. Nous sommes tellement habitués à cette distanciation dans la qualité de jeu, ou alors à un formalisme assez froid, philosophie, ironique que lorsqu’enfin des comédiens se mettent à incarner leurs personnages, à leur donner chair, eh bien on est tout juste bluffé et ébahi.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Théâtre Gérard Philippe, St Denis
photographie :
Simon Gosselin