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théâtre du radeau - François Tanguy

Embarquez !

Il y a quelque chose de terrible à se dire que parfois la mort rend possible ce qui ne l’était pas. Trouver du positif dans le tragique. Et pourtant cela arrive. Est-ce que cette pièce de 2019 aurait été reprise si François Tanguy n’était pas mort ? Est-ce que cette pièce qui justement ne cesse de parler de la mort recevrait la même lecture, le même succès si François Tanguy n’était pas décédé ? Ce ne sont que des questions. Ce qui est sûr c’est qu’on retrouve là la patte du metteur en scène. Une sorte de surréalisme qui colle ensemble des choses qui ne devraient même pas se rencontrer et qui table ainsi sur l’intelligence du spectateur à tisser des liens avec sa propre subjectivité. Car celle de Tanguy reste difficile à saisir et quelque part ce n’est pas un souci. Ce n’est pas là le propos. Comme chez Castellucci, il fait appel à un spectateur producteur de sens et non à la posture confortable du spectateur consommateur de produits culturels qui gobe ce qu’on lui offre, se permettant de donner son avis ensuite comme s’il était sur TripAdvisor. Non ici, il faudra mettre les mains dans le cambouis, se mettre à rêver, accepter cela, comme lors d’une thérapie jungienne, avec tous les risques inhérent au dévoilement. Car ce qui émerge n’est pas simple, mais profond et subtil.

Surréalisme donc et nouvelle vague aussi, transposée au théâtre avec cette musique qui parfois recouvre les voix des acteurs et qui semble nous indiquer que ce qui est dit n’est pas forcément ce qui compte. Ce qui compte ce sont les pans entiers de la mémoire, mouvant comme ce décor qui ne cesse de révéler des hors champs, des arrière plans. Ce qui compte c’est ce qui se joue dans le fond à mesure qu’un rideau se gonfle, les apparitions des uns et des autres, comme des fantômes, les mêmes que l’on peut voir chez Maguy Marin dans Turba par exemple. Avec rien, avec de la récup, des costumes cheap, tous les artifices du théâtre se montrent en tant que tel. Un art du pauvre qui n’avance pas masquer bien au contraire, qui affirme toute sa pauvreté pour optimiser les effets, pour provoquer l’émotion.

Il n’y a que Tanguy qui fait ce théâtre là, peut-être désuet, vieillot mais nécessaire dans notre monde qui va trop vite et n’a plus de mémoire, de culture. Il n’y a que Tanguy qui produisait ce théâtre là et comme dirait Deleuze « il va nous manquer ».

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Théâtre de l'Aquarium, Cartoucherie de Vincennes
photographie :
Jean-Pierre Estournet