Ballroom Online

Savušun

Sorour Darabi

Intime impudeur.

Dès l’entrée des spectateurs, le ton est donné : découvrant la feuille de salle, un homme blanc demande s’il y a une féminité toxique. On est dans le cadre du festival Queer Darlings de la Sophiensaele, offrant une programmation résolument féministe et on se dit que, même après #metoo, même dans une ville aussi cosmopolite et ouverte que Berlin, tout reste à faire. Vincent Riebeek y présente l’infiniment kitsch, presque camp, One Of A Kind, usant du mauvais goût à outrance et d’une débauche de perruques et autres artifices, préférant sans doute susciter connivence et sympathie de la part du public, plutôt que de le provoquer, risquant de creuser le sillon des clichés les plus éculés dans une salle totalement acquise, sans faire bouger la moindre ligne. A l’inverse, Sorour Darabi intervient dans un solo épuré, intime, bluffant de sincérité. Il émerge du public, sans filtre, sans effet, chantant a capella une litanie qui annonce le rituel. Et avec une sobriété, presque un dénuement, qui pousse à l’admiration, il nous plonge dans une transe propice à l’expression d’une déclaration d’amour incestueuse à son propre père, répondant ainsi au désamour de ce dernier envers sa progéniture, à la violence du rejet vécu, dénonçant cette masculinité toxique que le spectateur ignorant semblait mettre en doute. S’ensuit une véritable performance d’une intelligence rare avec quelques bougies qui sont tout à la fois cierges et instruments de torture, ce qui éclaire et ce qui brûle. Une ambivalence permanente qui se révèle à tous les endroits du spectacle, entre ombre et lumière, entre témoignage et fiction, démontrant, à la faveur d’un grand retournement, que le monde n’est pas binaire. On n’en sort pas indemne. Et c’est bien ça qu’on est droit d’attendre.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Sophiensaele, Berlin dans le cadre du festival Queer Darlings
photographie :
André Le Corre