La faculté des rêves
Christophe Rauck
texte de Sara Stridsberg
On avait hâte de découvrir le travail de Christophe Rauck, nouveau maître des Amandiers à Nanterre après sa nomination quelque peu contestée.
Philippe Quesne y avait défendu un théâtre résolument contemporain, souvent sous des formes hybrides et les inquiétudes étaient grandes d’un retour à une programmation plan plan, conventionnelle, pour ce fleuron de l’art dramatique en France.
La salle est à moitié vide et la plupart des spectateurs sont des happy few bénéficiant d’invitations. L’inquiétude ne faiblit pas, elle est à son comble. Pourtant sur le papier tout semblait réuni. Des actrices reconnues, un texte contemporain qui retrace la vie d’une icône féministe, en pleine période metoo, cela semblait de bonne augure. A cela on pouvait ajouter une scénographie certes un peu datée à la Sol Lewitt mais toujours efficace usant d’un grand écran vitré qui s’opacifie sur commande et produit un effet miroir. Ou même un récit éclaté, faisant d’incessants allers retours temporels qui auraient pu nous perdre sans les interventions habiles de la vidéo et d’une narratrice bienvenue. La Faculté des rêves s’attache à la figure de Valérie Solanas, enfant violée, étudiante brillante, prostituée droguée qui écrira dans une Amérique puritaine, conservatrice, en pleine guerre du Vietnam, un texte pamphlétaire et radical appelant à l’éradication des mâles, le Scum Manifesto, et qui sera aussi connue pour avoir tenté d’assassiner Andy Warhol. Christophe Rauck nous dit que c’est pour servir le talent de Cécile Garcia Fogel qu’il a choisi de mettre en scène une adaptation du roman de l’autrice suédoise Sara Stridsberg. Et c’est bien là le problème. Cette posture pas du tout féministe de l’homme qui veut rendre compte des talents de la femme. Cette posture en miroir justement avec celle de Warhol dans la pièce, qui se sert de Solanas, la manipule, la méprise, l’invisibilise tout en prétendant dialoguer avec elle d’égal à égal.
Alors qu’on est un homme, dans un milieu si majoritairement dominé par les hommes, je parle là du théâtre en France, avec si peu de femmes à la tête d’institutions, alors qu’on traverse enfin une époque qui semble sensible à la question de l’égalité des sexes, choisir un texte qui évoque une figure du féminisme pour ne pas en faire un spectacle féministe, c’est quand même un comble. Et même si la feuille de salle clame haut et fort le contraire, non ce n’est pas un spectacle féministe, tant le propos désarticulé ici par la narration de l’activiste morte seule, sans le sou, dans un hôtel miteux, passe pour celui d’une personne en mal de reconnaissance et d’une gloire vide et creuse à coup de provocations gratuites, caricaturales, désordonnées. Il aurait fallu pour cela contextualiser la misandrie outrancière de Solanas, expliquer qu’elle appartient à un féminisme deuxième vague, qui n’est pas celui qui domine le courant metoo aujourd’hui. Il aurait fallu ne pas tant s’intéresser au personnage un peu bling bling de Warhol, dont la tentative d’assassinat est traitée comme l’acte d’une déséquilibrée plutôt que comme un acte politique tant Warhol ne correspond pas à l’incarnation du patriarcat que pourfend Solanas.
Ce n’est pas un spectacle féministe, c’est un spectacle performance. Cécile Garcia Fogel tient pendant deux heures une distanciation toute brechtienne alors qu’elle passe par toutes les émotions possibles sans jamais varier son jeu, détaché, voix presque monocorde de femme-enfant camée. Certains applaudissent ce minimalisme radical qui pourrait toutefois passer pour une paresse. Nous, nous avons subi. Avec la sensation paradoxalement de s’être fait engueuler.
Alors si vous voulez un spectacle féministe, allez plutôt voir Au bord de Claudine Galea, mis en scène par Stanislas Nordey au théâtre de la Colline jusqu’au 9 avril.
Thomas Adam-Garnung