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Drumming XXL

Anne Teresa de Keersmaeker

au-delà d'un simple spectacle d'écoles

Drumming, c’est une pièce de Anne Teresa de Keersmaeker, créée en 1998, sur une musique de Steve Reich, toute en percussion, avec ces rythmes qui se chevauchent, se décalent et se recalent. Une chorégraphie assez simple qui déploie une phrase tout en sauts et pirouettes, agrémentée de sourires en coin et de connivences jamais feintes, qui vous font sortir de la représentation, après une phase de transe, avec l’irrésistible envie de danser. La pièce, toujours jouée par la compagnie de Keersmaeker, a été remontée et remontée. Et c’est ici une version XXL qu’on nous promet avec pas moins de 70 danseurs au plateau. Idée surprenante mais dans l’air du temps. Après la mode des solos qui n’était ni plus ni moins que la réponse du milieu de la danse face à la raréfaction de ses moyens, on voit apparaître celle des reprises de pièces par des écoles voire des amateurs. On a vu par exemple les remontages de Tragédie d’Olivier Dubois dans cette même veine. Toujours pour limiter les coûts. Sous couvert d’offrir un peu de participatif bienveillant.

Et il faut le dire, vouloir faire danser par des amateurs ou même des élèves danseurs des partitions déjà ardues pour leurs interprètes originaux relève parfois du courage, souvent de l’inconscience. Le résultat n’est pas toujours au rendez-vous.

Ici, ce sont pas moins de trois écoles, et pas des moindres, qui se lancent dans l’aventure : le Conservatoire de Paris, P.A.R.T.S. de Bruxelles et l’Ecole des Sables de Dakar. Et il n’y a pas de miracles. Les élèves n’ont pas tous le même niveau, la même maturité sur le plateau, il y a des disparités flagrantes qui nuisent au spectacle. On a le sentiment, pénible, d’assister à un gala de fin d’année. Et pourquoi, à une époque où la sobriété est érigée en valeur, vouloir faire XXL ? Pour que les 70 danseurs puissent partager le plateau de la MC93, celui-ci a été divisé en deux. Qui a eu cette idée saugrenue qui, de fait, réduit de moitié l’amplitude des mouvements ? Il semble qu’il faille choisir entre cours et jardin. Et 70 danseurs ensemble… voilà qui ne fait que rendre la pièce illisible. Là où il pouvait dans l’oeuvre originale y avoir des respirations, du silence, des solos, il y a ici une agitation perpétuelle de jeunes gens satisfaits d’eux-mêmes, sans recul aucun sur ce qu’ils sont en train de faire. Et voilà qu’en plus on offre, peut-être aux plus charismatiques, c’est dire pour les autres, des moments dans la lumière où ils peuvent improviser, laisser libre cours à leur danse personnelle. Bienveillance participative on vous avait promis. Bien entendu les élèves de l’Ecole des Sables s’adonnent à la danse africaine, cliché quelque peu gênant, ici justifié par le fait que la pièce ferait la part belle aux percussions, même si celles de Reich non pas grand chose à voir avec le continent noir. 

La vaine tentative de copier sans réflexion aucune les costumes de la création signés Dries Van Noten donne l’impression fatale d’un spectacle au rabais qui dessert encore plus le projet.

La bande son, enfin, criarde au possible, achève nos oreilles. Comme si même un enregistrement décent avait été hors de portée.

Oui nous avons éprouvé ici l’expérience douloureuse d’un gala de fin d’année. Mais au-delà de ça, il reste quelque chose. Il reste ces jeunes gens qui après la salve d’applaudissements nourrie viennent dire l’absurdité pour eux d’être là à danser alors que d’autres enfants se font massacrer dans l’indifférence. Il reste ces jeunes gens qui se sont rencontrés, ont vécu ensemble malgré les différences de leur parcours, ont réussi à constituer une communauté. Il reste une salle en liesse qui a pu voir une pièce majeure de la danse contemporaine à un prix modique, permettant ainsi à cette discipline de peut-être renouveler son public. Il reste le travail de l’ombre de trois écoles. Et c’est bien ça qui compte. Pas le spectacle, pas l’arrivée, mais le chemin. Et ce chemin est des plus beaux.

Thomas Adam-Garnung

Thomas Adam-Garnung

vu à :
MC93 Bobigny dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
photographie :
Tine Decklerck