Ballroom Online

Dehors est blanc

Tumbleweed

de l'art de léviter

C’est la troisième chorégraphie de la compagnie Tumbleweed, vous savez ces petites pelotes d’herbe qui roulent dans le désert et les films de cowboy. Mais ne vous y trompez pas, ils viennent de Belgique, ce plat pays qui a tant compté et compte encore pour la danse contemporaine avec des Keersmaeker, Fabre, Platel, Vandekeybus, excusez du peu et qui est si petit qu’il sait rester au confluent de l’Europe, question de survie. Et cette toute jeune compagnie ne déroge pas à la règle en réunissant Angela Rabaglio et Micaël Florentz, elle suisse et lui français. The Gyre, leur toute première pièce était tout simplement un chef d’oeuvre giratoire, hypnotique et magistral. Et on retrouve dans ce nouvel opus cette même volonté de mettre les corps à l’épreuve, de faire de la danse une performance. Performance parce que les trois danseurs sont dans les airs, suspendus, système de poulies et de poids, l’équilibre est précaire, fragile, tout mouvement un peu brusque peut provoquer la chute. Situation étrange de double injonction contradictoire où l’on se sentirait à la fois totalement libre et totalement tenu, les corps enchevêtrés dans des fils. Alors il y a l’extrême lenteur de ces corps en tension qui permet des modulations, parfois infimes ou indistinctes mais qui sont bien là à mesure que l’on perçoit une goutte de sueur qui perle du front d’un des danseurs. Est-ce de la danse demanderez-vous, avec cette sempiternelle tentation que nous avons de mettre les choses dans des cases. Ce n’est pas du cirque en tout cas. Rien d’acrobatique. Plutôt une transe qui est juste terriblement salvatrice dans notre monde en mouvement perpétuel. Comme un temps d’arrêt, une respiration. De la poésie après tout. Comme un vers qu’on relit et relit parce qu’on s’étonne toujours de sa beauté qui ne fane pas. Il y a surtout dans cette presque immobilité, une forte présence des interprètes, une consistance même qui est précieuse ici, dans un spectacle. Parce que oui, c’est un spectacle, même si il est sous titré installation chorégraphique, comme si on avait voulu déjouer les attentes des spectateurs en amont. Ce n’est pas parce que les appuis au sol sont impossibles qu’il n’y aurait pas de danse. Il y a là trois corps, qui lévitent, qui luttent, qui s’emboitent, se synchronisent, s’articulent et se désarticulent, se tordent, se redressent, adoptent des postures dignes d’un voyage intergalactique, tout change sans changé, imperceptiblement. Le plateau est un carré blanc sur fond noir, on attendrait la musique de 2001 l’odyssée de l’espace, mais c’est plutôt un bruit sourd comme le ressac de la mer avec au loin des cris de mouettes ralenti à l’extrême. Alors les danseurs se détachent et les poids sacs de sable tombent, un à un, et c’est lourd, pesant, presque menaçant, comme le fracas du retour à la réalité. Merci pour ce périple.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
MC93, Bobigny
photographie :
Arnaud Gerniers