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Portrait de famille

Midori Kurata

usine à névroses

Elle n’est jamais sortie du Japon. Pour ces représentations parisiennes dans le cadre du Festival d’Automne, elle a pris son passeport. C’est ce qu’on nous dit, faut-il le croire ? En tout cas il nous est enfin permis de découvrir une pièce créée en 2016 et qu’elle joue depuis 7 ans, avec les mêmes interprètes. Une pièce qui traite de la famille comme son titre l’indique. Une famille assez classique, donc dysfonctionnelle. Une belle usine à névroses. On est dans la salle à manger. Il y a le père, la mère, le fils et la fille. Et puis aussi le fils et la fille mais ayant grandi. Le père énonce une hypothèse. Il a souscrit une assurance vie. Et il dit ce que cela permettra s’il vient à mourir. Il expose toutes les possibilités. Comme une ritournelle. Avec une cruelle malice. Personne ne lui répond. Personne ne peut lui répondre. La seule possibilité pour les interprètes c’est de bouger, d’accomplir des mouvements. Des mouvements qui forment un écart, un fossé avec le réel. Un Gap omniprésent sur les vêtements. Mais ces mouvements qui conduisent à une pause. Une pause photographique. Car ici le travail de Midori Kurata se démultiplie à la manière d’un mille feuilles. Oui c’est une pièce sur la famille, avec un texte donc. Un auteur, un acteur. Mais c’est aussi une pièce de danse. Classique car la petite fille semble vouloir être une ballerine. Contemporaine car la fille ayant grandi a bifurqué. Et puis c’est une performance artistique car, pendant la pièce, le jeune fils prend des photo. Et ces photos exposées aux yeux des spectateurs avant leur entrée en salle permettent d’appréhender le temps qui passe, alors que les interprètes ont vieilli depuis la création de la pièce. Ces photographies confèrent surtout une dimension méta à la pièce. Ce n’est pas seulement une représentation. C’est une représentation de la représentation. Et dans ce retournement peut-être que nous atteignons une autre vérité. Celle du spectacle en train de se faire. Retrouvant alors même le caractère documentaire de l’oeuvre de Kurata qu’il faudra bien découvrir dans son intégralité en France, nous l’espérons.

Ces différentes grilles de lecture permettent de toujours trouver une porte d’entrée dans ce spectacle hors norme, réglé comme une horloge suisse, écrit au cordeau, d’une précision toute orientale, à la fois délicate et pointue. Avec cet humour fait d’outrance qui nous est totalement étranger. C’est attachant. Au-delà de l’exotisme du japonais. Surtout ça nous parle des rêves brisés, de l’envie de plaire à nos parents et de la nécessité que nous avons de nous affranchir de leurs désirs, de combien nous plaçons sur un piédestal ces figures parentales qui ne sont finalement que des êtres humains comme nous, tout aussi faillibles, petits parfois, malheureux souvent et donc en quête de bonheur même si cela peut se révéler égoïste. La famille comme carcan transfiguré ici sur ce plateau, exorcisé pourrait-on dire car en dehors de l’objet représenté avec ces travers, c’est une véritable famille, choisie celle-là qui prend vie sur scène et fait de ses traumatismes un spectacle. Une catharsis à l’état pur.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Maison de la culture du Japon à Paris
dans le cadre du Festival d'automne
photographie :
Kai Maetani et Yulia Sko