Podium 2019
Concours de danse contemporaine - 1ère édition
Un palmarès qui pose question.
Et (re)connaissance devient Podium. Et un concours dédié à l’émergence devient un concours de diffusion. (re)connaissance avait bien des défauts. Les défauts des compétitions : en une vingtaine de minutes, il fallait frapper fort, peut-être superficiellement, faire de l’épate à bon compte pour sortir du lot. (cf notre compte rendu en 2017) Mais ce concours avait le mérite d’exister pour des artistes qui, justement, manquaient de visibilité dans ce déjà petit paysage de la danse contemporaine qui se réduit, de plus en plus, à peau de chagrin, avec des programmateurs de plus en plus rétifs aux prises de risque. Alors oui, il fallait peut-être changer de formule. Mais ce repositionnement a de quoi interroger. Exit les artistes émergents, ceux qui essaient de se faire une place. Maintenant les 17 structures partenaires choisissent 12 projets qui, selon eux, n’ont pas eu l’exposition qu’ils auraient dû avoir. Il y a déjà là comme un aveu d’échec : soit les programmateurs ne font pas leur travail, soit le public n’est pas assez « éduqué » pour apprécier ce qui mérite considération. Et ces 17-là seraient eux capable de remédier à cette injustice ? Pourquoi pas ? Cette hybris débordante, c’est peut-être ce qui manque à la danse.
Sauf qu’il ne s’agit pas d’audace. Il s’agit en fait d’un choix budgétaire, de réaliser des économies d’échelle : les 17 promettent d’insérer dans leur programmation deux des trois projets distingués par les différents jurys, ainsi les budgets alloués sont concentrés sur un petit nombre de productions. Ici, pas de ruissellement. L’eau coule en filet. On rationne. Et s’il y a un prix pour les solo et duo distinct d’un prix pour les pièces de groupe, c’est bien pour que les petites structures puissent « s’offrir » ces lauréats sans se mettre en difficulté. Tout est pragmatique.
On ne va pas blâmer les organisateurs de cette manifestation pour cela. Ils réagissent comme ils peuvent à une situation qui devient de plus en plus inextricable : de moins en moins d’argent pour la danse. Et ils réussissent même à en faire une fête, tant l’enthousiasme dans la salle est perceptible.
Les choix des jurys restent cependant très discutables. Dans la catégorie solo-duo, c’est Délices d’Aina Alegre qui remporte la palme décernée par le jury professionnel. Et on se demande pourquoi deux danseurs aguerris qui passent des heures à s’entraîner, à répéter s’échinent à singer des enfants en bas âge. Dans la catégorie pièce de groupe, c’est Danza Permanente qui obtient le prix du jury professionnel. Sur-vendue comme une prouesse technique par Marie Roche, co-organisatrice de l’événement et directrice du Pacifique, qui a opportunément oeuvré à la reprise de la pièce en janvier (risquant le soupçon de népotisme), la proposition de DD Dorvillier & Zeena Parkins présente une chorégraphie qui transpose en mouvement la partition du Quatuor à cordes opus 132 de Beethoven et, nous dit-on, donne ainsi à voir la musique. Comme si c’était exceptionnel, du jamais vu, comme si ça n’était pas le cas dans d’autres propositions, comme si, ne prenons que cet exemple, ce n’était pas le propos même du Vortex Temporum de Keersmaeker. Quant au jury public, il préféra la facilité un peu fade et naïve du NaKaMa de Saief Remmide, hip-hop consensuel et attendu.
A nous de faire notre propre palmarès. La sélection était riche, variée, belle. Elle présentait, quoiqu’on ait pu dire, des artistes encore émergents (mais sort-on vraiment de l’émergence ?). Parfois englués dans l’influence d’un chorégraphe patenté avec lequel ils avaient pu travailler : la proposition de Lara Barsacq très proche d’un Jérôme Bel ou la lumière d’un Josef Nadj qu’on retrouve dans Suite de Julie Coutant et Eric Fessenmeyer, soulevant la question épineuse de la mémoire et de la culture en danse.
C’est de toute évidence Cellule de Nach qu’il aurait fallu récompenser. Un Krump poignant qui s’ouvre totalement sur autre chose. Un jeu de lumières et de projections d’une incroyable intelligence. Surtout la sincérité d’une femme seule au plateau qui se dévoile avec une infinie générosité. On pourrait aussi évoquer le Eldfell de Benjamin Coyle qui en un voyage immobile, économe en effets, produit une transe envoutante, écho du magnifique The Gyre de la compagnie Tumbleweed, lauréat de la Grande Scène des petites scènes ouvertes 2018.
Il y a encore du chemin à parcourir. Mais parcourons le ensemble. Car même s’il présente bien des imperfections, Podium existe et reste nécessaire.
Thomas Adam-Garnung