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Zaï zaï zaï zaï

Théâtre de l'argument

le spectacle est dans la salle

C’est l’adaptation pour la scène de la bande dessinée éponyme de Fabcaro, vendue à plus de 300 000 exemplaires et qui a déjà été adaptée au cinéma par François Desagnat.

C’est l’histoire de Fabrice, auteur de BD qui s’aperçoit qu’il a oublié sa carte de fidélité à la caisse d’un supermarché. La caissière appelle le vigile, l’homme s’enfuit  en menaçant le vigile avec un poireau ! Et commence alors une cavale sans merci, pour celui qui devient rapidement l’ennemi public numéro 1. Alors que les médias s’emparent de l’affaire et que le pays est en émoi, le fugitif, partagé entre remords et questions existentielles, trouve un point de chute inattendu, quelque part en Lozère.

Et figurez-vous que c’est drôle parce que au même moment à Paris se joue une autre adaptation scénique de la même bande dessinée, au théâtre de la Comédie de Paris jusqu’au 9 juillet. Enfin pas exactement la même. A la comédie de Paris c’est une lecture vivante à deux voix avec musique live et projection des planches de la bd. Ici au théâtre de l’atelier, on nous fait croire qu’on va assister à l’enregistrement radiophonique de la pièce. Donc pas de décor si ce n’est des micro. Et 8 comédiens qui se répartissent les rôles.

Ce qui est drôle c’est que le masque et la plume devait rendre compte de la version du théâtre de l’atelier, mais les critiques n’avaient vu que la version de la comédie de Paris, sur laquelle une fois n’est pas coutume ils étaient plutôt d’accord et dithyrambiques, à coup de hilarant, les spectateurs sautent sur leur siège, et patati et patata.

Peut-être que notre rédactrice en chef a voulu réparer l’injustice infligée à la version du théâtre de l’atelier. Une secrète histoire de compétition entre pièce détachées et l’illustre et vénérable émission de critique du service public. Et elle m’a donc envoyé, moi. Moi l’habitué des spectacles de danse contemporaine, moi l’amoureux des mises en scène du théâtre public. Et ça a été un véritable calvaire. Dès le début avec ce prologue censé j’imagine chauffer la salle, en nous faisant croire qu’on va pouvoir avoir notre place dans cet enregistrement radiophonique à coup de bruitage d’une salle en délire. Connivence entendue pour un spectacle qui ne sera jamais participatif. Jusqu’au casting impitoyable de comédiens qu’on aurait volontiers vu exceller chez patrick sébastien et pour lesquels on ne peut avoir aucune empathie tant ils respirent à la fois suffisance et médiocrité. En passant par ce jeu tout en tension feinte, mal interprétée, hurlant systématiquement, faisant preuve de l’hystérie la plus caricaturale, comme pour nous empêcher de nous endormir. Même Macaigne fait ça mieux. Tout était indigent. La qualité d’interprétation déplorable. Les costumes pompés sur la version cinématographique. Quelle paresse intellectuelle. Le spectacle est bâclé en une heure, la salle est aux anges, elle en a eu pour son argent et je m’apprête à partir sans avoir applaudi, sans avoir ri une seule fois, me demandant ce que j’avais bien pu faire dans une vie antérieure pour subir un tel revers de karma.

Mais c’est là que le show commence. Deux dames assises à côté de moi veulent savoir ce qui m’est arrivé pour que je sois à ce point atterré, elles se sont dit que peut-être j’étais étranger et que je n’avais pas compris le spectacle, ne maîtrisant pas les subtilités du français (subtilité qui je vous l’assure sont inexistantes dans ce spectacle à l’humour potache et grivois). Je leur dis que je vais au théâtre pour m’élever. Elle me demande ce que je vais voir habituellement. Je réponds Castellucci, l’une ne sait pas de qui je parle même si c’est le plus grand metteur en scène contemporain, l’autre se rappelle avoir vu quelque chose à l’Odéon, invitée par des amis, elle avait trouvé ça intello. Je leur parle de la distinction des trois théâtres selon Brecht. Un théâtre de divertissement qui en un sens permet de passer la pommade sur nos malheurs, nous les rendre acceptables finalement. Un théâtre politique qui tenterait de nous édifier en étant dogmatique. Et un théâtre rituel, une sorte de grand messe qui rassemble une communauté, le théâtre de Castellucci appartiendrait à cette catégorie. Elles me disent qu’elles ont adoré Zaï Zaï Zaï Zaï. Que c’est fort parce que ça dénonce des trucs de notre société. Je demande quoi. La question des cartes de fidélité. Ouah. Et je leur demande si elles avaient besoin de cette pièce pour dénoncer la société de consommation. Elles répondent que non. On est à la veille d’une élection. Je leur demande si elles vont voter Macron demain puisque le spectacle dénonce aussi les ministres violeurs nommés par le président de la république. Bien sûr elles ne répondent pas. Je sens que leur capacité à s’indigner est grande mais que finalement les volontés d’agir sont réduites, elles savent faire le tri dans le spectacle, sûrement qu’elles ont brûlé leurs cartes de fidélité, toutes, une fois rentrées dans leurs pénates. Elles me traitent comme si j’étais un grand malade, incapable de légèreté, d’humour, incapable de vivre finalement. Je me suis fait engueuler pour n’avoir pas ri à des blagues sans finesse, pour n’avoir pas vu combien ce spectacle était susceptible de changer notre monde qui va au plus mal. Moi je suis ravi, ravi de ces échanges. Car finalement c’est bien à ça que doit servir le théâtre, permettre à des gens de se rencontrer et de vivre ensemble une expérience.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Théâtre de l'atelier, Paris
photographie :
François Goize