rush
Mette Ingvartsen
Archives vivantes
Mette Ingvartsen nous propose de retraverser une dizaine de pièces qu’elle a créées en 20 ans de carrière. Au plateau, l’une de ses interprètes fétiches partage avec nous le cheminement de chaque extrait, sa place dans l’oeuvre, ce qu’il a fallu pour le produire. Une seule interprète pour des pièces de groupe. Et une évocation en lieu et place de la performance. Ici, on imaginera plutôt qu’on ne verra. C’est très habile, ce positionnement. Habile parce que la danse bute toujours sur son archivage, sur comment représenter des représentations qui ne peuvent plus se faire, comment rendre présents des questionnements du passé qui pourraient se poser encore aujourd’hui mais autrement. Sans apparente partition ou texte, la danse s’est souvent pensée comme un art vivant sans mémoire. Ici, l’archive est bien vivante. Pas de captation, pas un remontage à l’identique comme s’il s’agissait de faire patrimoine, naphtaline et fan service à la Pina Bausch. Non ici, c’est une pièce vivante.
C’est habile et astucieux même. Parce que forcément notre imagination nous frustre, mais nous permet aussi d’adhérer. Ça ressemble au Spectacle rêvé de Joris Lacoste qui nous demandait dès le début de fermer les yeux et d’imaginer ce qui se passait sur scène, en suivant les suggestions d’un acteur. Et le caractère, anecdotique parfois, de ce qui se dit ici autorise une plus grande proximité avec le public. Cela remet de l’humour, de l’humain là où l’on ne voyait que la performance, du conceptuel. Apprendre que les interprètes nus, avant d’entrer en scène, se soulagent une dernière fois, derrière le rideau, juste avant son ouverture, ça fait sourire, ça rend proches, presque intimes. Surtout, ça permet d’indiquer le point de vue. Celui de l’interprète. Ce n’est pas une chorégraphe qui revisite son oeuvre, c’est une des danseuses qui l’a rendue possible. Car cette pièce est clairement un hommage aux danseurs, signalant leur participation active au processus créatif. Sans eux, il n’y aurait rien.
Belle générosité de la proposition qui rencontre toutefois deux écueils. Tout d’abord celui-là même de l’archive. Elle sonne comme un bilan. Un état des lieux de la danse contemporaine aujourd’hui. Il y a eu un temps où l’on pouvait faire des pièces de groupe. Aujourd’hui, les moyens de productions sont si réduits qu’on ne peut plus envisager qu’un seul interprète en scène, sans costume (c’est peut-être pour ça la nudité finalement), sans décor. Alors on peut faire un peu de participatif pour habiller la scène à peu de frais (attention audace). On peut aussi faire danser de simples couvertures de survie, réduction ultime des coûts. Mette Ingvartsen nous dit que ses pièces ne seraient plus véritablement possibles aujourd’hui. Ce qui peut plonger dans une certaine mélancolie.
Deuxième écueil, celui du sens. Comment donner du sens à une suite d’extraits d’oeuvres disparates ? C’est dangereux. Comme s’il y avait véritablement un fil rouge. Ou alors assumer que parfois le fil se distende, qu’on le perde.
Rush s’en sort terriblement bien, peut-être aussi parce que le CND est à ce moment-là animé d’une joyeuse énergie, celle de Camping, sa manifestation à destination des étudiants en danse. Un vent de fraicheur dans la salle qui déjoue la mélancolie et une agitation bienveillante qui redonne tout son sens à une oeuvre généreuse et jouissive. On en redemande.
Thomas Adam-Garnung