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Portrait désir

Dieudonné Niangouna

le temps des histoires

Avant l’entrée en salle, une rumeur sourde, presque un vent de panique se répand parmi les spectateurs : 4 heures sans entracte, 4 heures sans entracte vous avez bien entendu. Et chacun de se demander déjà s’il pourra s’éclipser, s’il faut à tout prix trouver une place stratégique dans un coin, au bord d’une travée, près d’une porte. On est loin du format habituel des produits culturels du spectacle vivant. Et personne ne semble voir là une liberté retrouvée plutôt qu’une contrainte. La liberté de se positionner. La liberté de choisir si l’on reste, si l’on revient en salle après une pause dans un lieu d’aisance approprié, si l’on s’assoupit avant de se réveiller, si l’on savoure un moment d’ennui, coupé du monde, du flot continu d’informations dans lequel nous sommes piégés au quotidien. Dieudonné Niangouna se donne l’espace et le temps de raconter des histoires, celles de sa grand-mère qui passait des nuits entières à en raconter, comme quoi 4 heures c’est bien peu, celles de figures féminines ayant une place dans l’histoire de l’Afrique, celles déjà bien connues de la mythologie grecque, le tout entrecoupé d’aphorismes, dictons ou proverbes qui résonnent sans qu’on les comprenne au premier abord, habillé d’une musique au plateau frayant entre free jazz et rythmes traditionnels. Une succession de monologues parfois drôles, le plus souvent sombres et cruels, profonds comme une tragédie. Ça se passe dans un club de jazz nous dit-on sans qu’on en voit les lumières ou la fumée. Ça parle de migration, de colonisation mais surtout de filiation. Car Dieudonné Niangouna, avec ce spectacle redonne vit à sa grand-mère qui pourrissait de ses histoires, ne pouvant les transmettre à sa petite fille. C’est lui qui en prend la charge. Et ce faisant se féminise peut-être. C’est sans doute pour ça qu’il se charge d’écrire ou réécrire ces histoires de femmes, presqu’exclusivement des mères, les faisant indirectement dialoguer, se répondre. Une écriture à la fois ciselée, poétique et irrévérencieuse envers elle-même. Dieudonné Niangouna ne se prend pas au sérieux, il ne s’écoute pas parler à travers ses acteurs, il se moque volontairement de lui-même, de sa place ici sur scène et dans le monde, dans le petit paysage culturel français. Et il n’y a pas lieu de s’inquiéter des 4 heures du spectacle, ça passe presque tout seul une fois qu’on a compris qu’il ne s’agissait pas là de consommer un bien culturel, qu’il ne s’agissait pas là de comprendre tout ce qui est dit, d’entendre tout ce qui est dit, on ne le peut pas et ça n’est pas le propos. Le propos c’est d’être ensemble, de faire communauté, de se dire que de la Grèce à l’Afrique en passant par l’Histoire avec un grand H, c’est la même communauté qui est dépositaire de ces contes noirs pour en faire un avenir radieux.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
MC93, Bobigny
photographie :
Christophe Raynaud de Lage