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Now and Now

Opéra National de Bordeaux

La Force de l’Intemporel

   Voici la preuve par trois que la Danse, à l’instar des anges, n’a pas d’âge. Eric Quilleré, Directeur du Ballet de l’Opéra National de Bordeaux, a eu évidemment raison de nous le rappeler. Le programme, en effet, de cette soirée partagée, s’ouvre avec In the Night, ballet à part dans l’œuvre de Robbins, dans la mesure où Chopin guide, depuis l’au-delà, les pas fluides, élégamment interprétés par les Solistes de la Maison, et profondément romantiques… à l’image du musicien en proie au mal de son siècle, les tourments de l’âme amoureuse.

   

   Métaphore filée avec l’Entrée au Répertoire de Now and Now, du brillant artiste Johan Inger. Un duo, à la scénographie épurée. Pureté des sentiments de la Chair. Je ne saurai dire si ces corps des amants laissent entrevoir un avenir radieux aux relations entre les deux sexes ou si, au contraire, notre artiste a désiré nous donner à voir une certaine incompatibilité fondamentale entre eux. A vous d’en juger, en regardant les nuages passer de concert avec Autrui : même les enfants dessinent ces météores en les interprétant de façon antinomique. Or, Gide ne disait-il pas qu’« il faut toujours laisser quelque chose à penser au lecteur » ? Pour ma part, j’ai été prise par un sentiment poignant, celui de l’impuissance à créer dans le rapport amoureux la Sursomption chère à Hegel des contradictions entre les êtres. Il est vrai que les deux danseurs, remarquablement, regardent dans la même direction, se rejoignent, suaves, échangent leurs vêtements… Mais il y a ce Je ne sais quoi de tragique, du Grand Tragique présent en le Crépuscule des Idoles… En tout état de cause, Now and Now signe un chef d’œuvre de sensibilité acérée, qu’elle soit en proie aux affres ou au « tenir dans le temps des amants » du Phénomène érotique si magistralement analysé par Jean-Luc Marion.

   Entracte. Autre Acte. Autre modalité temporelle ? Evidemment d’une autre veine, Pontus Lidberg signe cependant à son tour, avec The Shimmering Asphalt, qui entre au répertoire de Bordeaux, une pièce intemporelle. Parce que la facture est résolument de technicité hautement classique. Les Solistes comme le Corps de Ballet excellent de performance, en vélocité comme en abatage de souplesse et de placement. Sidérant. Je pense à Forsythe ici comme inspiration pour Lidberg. Est-ce le cas ? Peu importe. Il crée, sur la musique atonale et entêtante jusqu’au ravissement de transe minimale de David Lang, un opus essentiel à qui veut contempler le pouvoir du classicisme : se renouveler en modernité, par la force de faire parler les corps sans tabou, en termes de sensualité et de rapidité des échanges entre les pas de chacun. 

    

    Or, n’est-ce pas, précisément, cela – la Force de l’Intemporel ? 

 

Bérengère Alfort

vu à :
Opéra National de Bordeaux
photographie :
Pierre Planchenault