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Médail Décor

Vincent Thomasset

"He's on fire"

Sur le plateau, de petites caisses pliables en plastique de couleur, organisées comme des algeco dans un port, empilées soigneusement, formant ici une sorte d’escalier, là une tour immensément grande, et là encore comme une barre d’immeubles en miniature. C’est joli. C’est malin. On dirait une installation d’art contemporain. On sait où on est. Les codes sont évidents. Il y a même un pupitre. Qui n’est pas tourné vers le public, face à nous. Mais de biais. Forcément.

Parce qu’ici tout est biaisé. Parce qu’ici tout est médiation. Il n’y aura pas de ligne droite. Ce sera un parcours. Un parcours d’obstacles. Art contemporain, on vous dit.

Et Vincent Thomasset entre. Il est tout excité. « He’s on fire » nous suggèrerait presque le t-shirt qu’il arbore. Il s’adresse à nous. Ces bras font des moulinets symétriquement. Ses pieds trépignent. C’est un peu comme une confession. Il raconte sa vie. Mais il y a urgence. Il ne s’arrête que pour souffler. Boire une gorgée d’eau. Il reprend avec la même célérité. Avec une joie presque trop vive, trop manifeste pour être totalement sincère. Cette joie propre aux timides qui cachent bien leur jeu. Comme s’il souhaitait ne pas nous ennuyer. Retenir notre attention. Il prévient, ça doit durer dix minutes. Un cinquième de la pièce. Nous sommes prévenus. Il raconte son parcours. Ses échecs. Beaucoup d’échecs.

Il parle de l’importance de l’équitation dans sa formation. 12 ans. Il dit qu’il n’était pas bon élève. Mais qu’il a réussi à intégrer une hypokhâgne. Qu’il n’a pas eu le concours. Qu’il a souhaité devenir comédien. Mais qu’il n’a été pris dans aucune école. Qu’il a assisté à beaucoup de spectacles. Qu’il a alors compris qu’il préférait aller voir de la danse plutôt que du théâtre, parce qu’au moins là, le sens n’était pas déterminé, fini, clos. Il réussit (enfin) le concours E.xe.r.ce du Centre Chorégraphique de Montpellier. Et entreprend de faire des performances. Pour ne pas être tributaire des contraintes, notamment économiques, inhérentes aux spectacles reproductibles. Et puis, il affirme qu’il a résolu son rapport à la radicalité. Il en a fini avec l’émergence.

Voilà où nous en sommes. C’était l’introduction. Une présentation. Autobiographique. Où le mot « fiction » revient. Et il reviendra. Qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est tu ? Qu’est-ce que cette adresse, faite au public, raconte, sans le dire, de celui qui est là sur le plateau face à nous. C’est bien la question que va poser le spectacle. D’autant que le projet est maintes fois réaffirmé : « parler des choses sans en parler ».

Rejoint par un homme dont les jambes adoptent les mouvements d’un cheval et dont le tronc ceux d’un cavalier, Thomasset va se mettre à son pupitre et avec la même urgence, les mêmes moulinets, il va proférer des textes qui ne semblent pas avoir de liens les uns avec les autres. Interrompus, Entrecoupés de séquences vocales enregistrées et interprétées façon play back par le danseur cheval.

C’est un duo. L’un est sûrement le double de l’autre. Tout est en miroirs, si tant est qu’ils ne réfléchissent pas trop. Car il n’y a pas symétrie parfaite, bien au contraire. Ça grésille. Si l’un est la tête, l’autre serait le corps, illustrant la parole. Mais le double est indocile, il se cabre, il rue dans les cagettes, renverse le parcours d’obstacles, bouscule tout sur son passage. Entre maladresse et affirmation joyeuse qu’il restera quelque peu sauvage, malgré les tentatives, vaines, de domestication.

De l’art contemporain, on vous avait dit. Rien de direct. A nous de cheminer. De refaire un parcours. Parler des choses sans en parler.

Ce n’est pas un grand spectacle. Ce n’est pas vraiment beau. Le texte est assez plat finalement, sans grande envergure, un style assez pauvre. Seules les séquences enregistrées recèlent d’un humour certain, renvoyant à l’enfance, à l’incapacité à faire partie d’un groupe, à se préter aux us et coutumes de la meute. A part une magnifique possession de la gestuelle du cheval, et un art soigné du moulinet, il n’y a pas vraiment de danse. On pourrait presque s’ennuyer.

Mais c’est justement ce que semble vouloir Vincent Thomasset. L’art contemporain est déceptif. Il produit des déceptions. C’est peut-être même ce qui le caractérise et pas seulement le fait de ne s’adresser qu’aux initiés. Thomasset joue là-dessus. Et construit une véritable pièce d’identité, à la fois autobiographique et fictionnelle. Il nous dit qui il est maintenant, au moment où il parle, au moment où il fait ce spectacle. Combien dans un monde où il faut agir vite, il a pu prendre son temps. Combien dans un monde où il faut rentrer dans des cases, il s’est évertué à ne pas s’y enfermer. En bon apôtre quadra rebelle et rock’n’roll.

Ce n’est pas du théâtre, ce n’est pas de la danse non plus. Et alors ?

C’est un spectacle drôle, généreux, qui rassure tous les losers, ceux qui ont tant de mal à se conformer à un modèle dominant, ceux qui peuvent ne pas se sentir à leur place, ceux qui savent que les médailles ne font que partie du décor.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Atelier de Paris-Carolyn Carlson / CDC, Paris
photographie :
Patrick Berger

Vincent Thomasset :