
Infamous Offspring
Wim Vandekeybus & Ultima Vez

Olympe en replay
Wim Vandekeybus fait partie de ces chorégraphes avec lesquels on a grandi. On l’a découvert jetant les corps comme des dés dans What the body does not remember, on l’a adoré quand il a mêlé pulsion et cinéma dans Blush, sommet d’une danse européenne qui croyait encore en sa propre nécessité. Retrouver aujourd’hui Infamous Offspring, c’est un peu comme revoir un vieil ami qui, bonne nouvelle, n’a pas ralenti. La danse est toujours là, nerveuse, périlleuse, prête à se casser la gueule mais ne se cassant jamais. Les interprètes d’Ultima Vez volent, chutent, se rattrapent au millimètre. Ça, Vandekeybus ne l’a pas perdu. C’est même ce qui continue de le rendre incomparable.
Ce qui a changé, c’est le cadre. Encore une fois il convoque la mythologie grecque, la famille de Zeus et Héra, le théâtre des pulsions originelles. On sent l’obsession de la vieille Europe qui se raconte à partir d’elle-même, qui puise dans les récits fondateurs pour avoir l’air plus grande qu’elle n’est. On dira que c’est un tropisme belge. Mais à force d’appeler les dieux au secours, on finit par trahir un déficit d’imagination. En 2025, regarder un père divin abuseur, une mère jalouse, des enfants fracturés qui se violentent entre eux n’a plus rien de scandaleux. On sait désormais où s’exerce la violence sexuelle, on sait que la famille est une scène de crime, on sait que la domination est d’abord domestique. Or Vandekeybus se contente d’en rejouer le constat sans fabriquer l’outil critique. Il montre la structure dysfonctionnelle mais ne la détraque pas.
C’est là que la pièce faiblit. À vouloir raconter une histoire, à accumuler les vidéos au-dessus du plateau, à faire parler les dieux par l’entremise d’un texte pas toujours à la hauteur, il oublie que ce n’est pas le récit qui l’a fait entrer au panthéon de la danse mais le mouvement. On le sent partagé entre le cinéma, la performance, le conte. Cette dispersion finit par écraser ce qu’il a de plus précieux: cette écriture du risque, brutale et claire. Chez un jeune artiste on dirait qu’il se cherche. Chez Vandekeybus, trente ans après, cela ressemble davantage à un détour inutile.
Reste que la machine danse, et qu’elle danse très bien. Mais on attendait autre chose de lui que de réactualiser les querelles de l’Olympe alors qu’un monde post MeToo demande d’autres récits, d’autres corps, d’autres alliances. Ce qu’on ne pardonnerait pas à un émergent, il n’y a aucune raison de l’accueillir avec indulgence chez un maître.


