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inconditionnelles

Dorothée Munyaneza

Tempest dans un verre d'eau

Après Sarah Kane, place à Kae Tempest. Il est difficile de comprendre l’engouement qui entoure son travail. Attention, ce qu’iel propose est appréciable, mais sans enthousiasme débordant. Nous sommes loin de l’aura quasi mystique qui l’entoure, loin de cette ferveur contemporaine pour son œuvre. Cela manque de cette force brute, de cette fulgurance qu’on retrouve chez Sarah Kane. La langue n’a pas cette densité, cette violence poétique qui saisit. Rien qui ne vienne percuter violemment, bouleverser les entrailles.

Il faut dire que l’on reconnaît dans cette œuvre une fibre très britannique : des accents de Harold Pinter, des résonances sociales à la Ken Loach. Cette mise en scène du prolétariat, de ses luttes et de ses rêves brisés, demeure essentielle sur nos scènes. Mais est-ce réellement innovant ? Pas vraiment. De là à en faire un phénomène, à l’ériger en emblème, il y a un pas difficile à franchir.

Cependant, il serait injuste de nier l’importance de ce type de parole sur les scènes françaises. Cette voix, encore trop discrète dans nos espaces culturels, mérite d’être entendue. La présence de personnes racisées sur scène n’est pas anodine. C’est un acte politique, nécessaire, de voir ces corps et ces voix enfin investis dans nos lieux de représentation. Rien que pour cela, le spectacle mérite d’être vu.

Bien sûr, tout n’est pas parfait. Le jeu des actrices rappelle parfois les productions Netflix : des émotions à fleur de peau, souvent poussées à l’excès. Les changements de costumes incessants pour des personnages censés vivre en prison finissent par amoindrir la tension dramatique. La scénographie, avec ses bâches dessinées de barreaux, pêche par sa simplicité. Le message est clair, peut-être trop. Quant aux morceaux musicaux, ils laissent un goût d’inachevé, présentés comme maladroits sous prétexte que les personnages débutent dans la musique.

Mais faut-il s’en étonner ? Dorothée Munyaneza n’est pas metteuse en scène de formation. Musicienne et chorégraphe avant tout, son langage artistique s’exprime différemment. Et cela se ressent. Les corps dansent avec fluidité, l’émotion affleure sincèrement. Car malgré ses maladresses, cette pièce touche. Elle sait émouvoir, captiver. La fin emporte le public dans un souffle émouvant, répondant à ce besoin profond d’histoires d’amour inconditionnel. Et c’est peut-être là que réside sa plus belle réussite.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Bouffes du Nord, Paris
photographie :
RAYNAUD DE LAGE Christophe