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l'île aux pères

Liza Machover

on va où ?

Au cas où on ne suivrait pas, ça commence bien cette suspicion que nous ne serions pas attentifs, au cas où on ne suivrait pas donc ,on nous le dit et on nous le redit et on nous le reredit, ce spectacle part de la question « pourquoi les pères sont-ils absents ou morts ? ». Bon ok, pourquoi pas ? Même si tout cela est bien réducteur, un peu larmoyant aussi, on veut bien partir de cette question. Mais pour aller où ? C’est bien le souci de ce spectacle. On sait d’où on part, mais on ne sait pas où l’on va. Est-ce que c’est un spectacle sur la masculinité ? Il y a bien trois interprètes masculin au plateau. Ça oriente. Donc ce serait plutôt la question d’être un fils qui semble ici posée. Pas celle d’être un enfant ou même une fille. Ce serait de bonne guerre. C’est la question que se pose Hamlet après tout. Être ou ne pas être un fils. Mais on sent bien qu’au-delà, c’est la question de devenir père soi-même qui se pose. Comment devenir père si notre père a toujours été absent ou mort, comment survivre aussi si l’on devient père à son tour ? Survivre ou ne pas s’enfuir. D’autant que les interprètes sont en âge de procréer. Ils ne sont plus des enfants. Voilà que tout se complexifie. Mais pas tant que ça. On reste ici dans un monde très hétéronormé finalement, très patriarcal même. Et aujourd’hui voilà qui semble quelque peu problématique. Car est-ce que devenir un homme c’est devenir père, rien n’est moins sûr. Alors il y a sans doute de la naïveté. C’est ce qui semble apparaître avec ces convocations régressives de Dragon ball Z, de Spiderman, de Thorgal, du roi lion. Ça ratisse large, ça parle à tout le monde. C’est attachant, la naïveté. Mais ça ne décolle pas vraiment.

Pour légitimer tout cela rien de mieux que de faire du théâtre documentaire. On passe du temps à interviewer des gens, des anonymes, ils nous racontent leur histoire, ce dont ils se souviennent avec leur père, une grande libération de la parole pour ceux qui n’ont pas la parole. Ça semble généreux ça. Ça permet de dire que ce que l’on dit est vrai sans qu’on puisse rien vous opposer. Une émotion vraie pour un monde qui porte au pinacle l’authenticité.

Un zeste de psychanalyse avec son lot de révélations traumatiques gênantes et le tour est joué.

Mais jamais on n’abordera cette île que le titre nous promettait. Et c’est bien dommage. C’est là qu’on aurait voulu aller. Accoster ce fantasme d’une île où les pères absents et morts se retrouveraient en toute bonhommie. On ne fait que tourner autour sans savoir véritablement ce qui s’y passe.

Il y a de belles images, une gestion de la fumée impeccable notamment. Des émotions aussi même si elles sont exprimées avec trop de pudeur. Il y a surtout la générosité d’un dispositif qui à la fin du spectacle ne sait pas choisir et vire à l’exposition de toutes les matières rencontrées lors de l’élaboration du spectacle. Ça sonne un peu comme un manque de maturité. Mais justement, laissons à Liza Machover le temps de ne plus être une enfant.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Théâtre 13, Paris
photographie :
Cyrielle Voguet et Stéphane Toque et Adele Le Menelec Robert