Ballroom Online

Entre-temps

Philippe Découflé / Compagnie DCA

Boom de Boomers

Le revoilà, Philippe Découflé, le chorégraphe du Bicentenaire de la Révolution française — il y a plus de trente-cinq ans, déjà. Ça ne nous rajeunit pas. Depuis, il a promené son sens du spectaculaire jusqu’au Crazy Horse, affirmant son esthétique du clinquant tendre, du clin d’œil attendri, proche du cabaret. Entre-temps, sa nouvelle création, s’annonce comme une méditation sur le temps ; et vire parfois à un thé dansant pour soixantenaires mélancoliques.

Tout commence par lui, Découflé lui-même, incognito en bord de plateau, masque sur le visage, dodelinant sur une bande-son d’un autre âge. Quelques spectateurs, touchés par cette bienveillance généreuse, se laissent aller à danser depuis leur siège : scène étrange d’une boom de boomers, où chacun feint d’ignorer que la jeunesse ne revient pas. Il y a là une forme de tendresse, certes, mais aussi ce malaise diffus des adultes qui refusent obstinément de vieillir, de penser leur propre disparition, d’assumer les conséquences de leur vie.

Le spectacle tout entier est pris dans cette nostalgie eighties, avec son esthétique Rita Mitsouko, ses costumes Jean-Paul Goude, ses lumières Mondino, la musique de Laurie Anderson ou de Supertramp. La danse, elle, rejoue les ombres de Bagouet, Chopinot, Larrieu, Brumachon, Diverres – noms d’un âge d’or désormais révolu. On est d’abord heureux de les sentir ressurgir ces revenants qui nous ont fait grandir. Ils ont disparu si vite de nos scènes balayés par un virus et la non danse. Puis on mesure à quel point cette danse, hier complètement folle et nouvelle, semble ici inoffensive, adoucie, dépourvue de nerf comme piégée dans un musée, sous verre.

Découflé conserve tout son humour, sa légèreté, son goût du bricolage poétique : objets qui grincent, accessoires animés, bande-son à effet remix et rewind. Mais cette fantaisie peine à masquer le vide central du projet : la simplicité chorégraphique, faite de marches, de croisements, de sourires, paraît tenir lieu de pensée. La pièce prétend interroger le temps, elle se contente d’en illustrer la lenteur, la circularité.

Certes, voir sur scène des corps âgés émeut : ils rappellent ce que le théâtre a perdu de réel, combien la danse est cruelle. Et pas de jeunisme ici, c’est heureux. Mais cette noble intention tourne vite au fétichisme bien-pensant, où le « vieux danseur » devient le dernier gadget humaniste. À force d’enrober le sujet de tendresse, on évite toute révolte : le spectacle caresse là où il devrait mordre.

Et puis, le final participatif, cette kermesse molle où tout le monde danse sur du Gloria Gaynor, achève de dissoudre le propos dans une mousse de bonne humeur. On est priés d’applaudir, et tout le monde s’exécute, content d’avoir passé un moment « joyeux » — mot terrible. Le public sort le cœur léger, mais la tête vide.

Découflé voulait parler du temps ; il nous livre un divertissement, une commémoration sans révolution. Le titre est bien trouvé : Entre-temps, c’est-à-dire entre deux époques, entre deux gestes, entre deux idées — suspendu, poli, inoffensif.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
Espace chapiteau, La Villette, Paris
photographie :
Jean Vermeulen et Pierre Planchenault