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Clôture de l'amour

Pascal Rambert

une rencontre autour d'un spectacle

entretien avec Stanislas Nordey
par Thomas Adam-Garnung

retranscription

THOMAS ADAM-GARNUNG

Bonjour Stanislas Nordey. Merci tout d’abord de répondre à nos questions. Vous reprenez, avec Audrey Bonnet, au Théâtre de l’Atelier dans le 18e arrondissement de Paris, Clôture de l’amour de Pascal Rambert, jusqu’au 11 novembre, une pièce qui met en jeu sur le plateau deux amants au moment de leur rupture, dans un face-à-face aux allures de combat de boxe. Cette pièce créée à Avignon en 2011, vous n’avez jamais vraiment cessé de la jouer depuis. Il y a un mois, vous étiez même à Princeton aux Etats-Unis pour l’y présenter. Une longévité et un succès qui peut étonner tant le texte est âpre, ciselé, exigeant. La pièce a été jouée dans 13 pays, traduite en 26 langues. Vous sauriez expliquer ce succès ?

STANISLAS NORDEY

C’est simplement la force de l’écriture. Parfois comme ça, il y a tous les 10 ans, tous les 15 ans, une espèce de joyau comme ça, une pièce qui touche au cœur. Je pense que ce qui est la force du spectacle, c’est à la fois le fond et la forme. Le fond, c’est un truc où tout le monde se reconnaît. C’est une rupture amoureuse, c’est la fin d’une vie commune, ça se fait dans la violence. Tous les spectateurs s’y retrouvent à un moment ou à un autre. Mais si c’était que ça, ça n’aurait aucun intérêt. Derrière ça, il y a une langue assez puissante, drôle. Je pense qu’aussi au fait que le spectateur puisse, par expérience, passer des larmes au rire, du rire aux larmes, ça fait un peu slogan publicitaire. Vous allez rire puis pleurer, etc. Ça ne se passe pas partout, ça ne se passe pas sur toutes les scènes. Et puis, je pense que le plus modestement possible, Pascal, en écrivant la pièce pour nous d’ailleurs, a trouvé les interprètes justes. Donc, il y a une espèce d’alchimie avec un spectacle aussi sur l’art du théâtre. C’est-à-dire qu’on voit à la fois les personnages, mais on voit aussi les acteurs travailler. Donc, on a, je pense, à manger un peu tout le temps. Et effectivement, quand on la répétait, on n’imaginait pas du tout qu’il se passerait ça. Dans mon souvenir, Pascal, Rambert étaient directeur du théâtre de Gennevilliers. C’était programmé à Avignon, à Gennevilliers après, et puis dans un autre lieu, à Genève, au Gruppli. Donc, personne n’en voulait de cette pièce au départ. Et puis, il y a quelque chose qui s’est produit. Donc, je pense que c’est un peu lié, mais c’est surtout lié à la force de la pièce et peut-être à la rencontre avec les deux acteurs qui étaient faits pour jouer ça à ce moment-là.

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Il y a une complicité palpable, d’ailleurs, avec Audrey Bonnet sur scène, qui, au-delà de l’écoute que lui reconnaît Rambert dans le texte, a un souffle particulier, une diction qui répond complètement à la vôtre et donne toute sa musicalité au texte. Est-ce que votre collaboration avec elle a influencé votre jeu au fil des années ?

SN

On est des acteurs très différents dans la préparation, dans le travail, mais on se rejoint sur une chose, c’est qu’on s’appuie énormément sur la langue et sur les mots. Donc, ça, c’est le point commun, je dirais. Les deux partitions sont très différentes. La mienne est une partition faite sur l’attaque. Pascal me dit tout le temps qu’il doit y avoir une série de flèches comme ça, qui crucifient Audrey. Audrey, quand elle répond, est dans quelque chose qui est plus… dans une chose… Oui, c’est un autre registre. Donc, ce qui est intéressant, c’est que c’est apparemment deux monologues, je dis bien apparemment, c’est 50 minutes et 50 minutes ou quelque chose comme ça, mais en fait, c’est écrit comme un dialogue tout le temps. C’est-à-dire que dans toutes les cinq ou six phrases, j’ai quelque chose dans mon texte qui coupe Audrey, qui allait dire quelque chose, et pour elle, c’est un peu la même chose. Donc, on est forcé, quand on joue, d’être entièrement avec l’autre dans l’écoute, aussi bien elle que moi. C’est-à-dire que dans les 50 minutes où je parle, je suis entièrement dans son regard, entièrement avec elle. Et elle, c’est la même chose. Donc, ça fait qu’on est obligé de s’articuler l’un l’autre. Je ne sais pas tellement si on a bougé l’un par rapport à l’autre. Par contre, je pense qu’on a énormément bougé à l’intérieur. C’est-à-dire que la façon dont on a répété le spectacle, parce que Pascal Rambert n’aime pas répéter. Donc, en fait, à la première répétition, il nous avait demandé d’apprendre la totalité du texte. On a filé le texte, comme on dit, sans s’arrêter. Après, il fait quelques notes. Le lendemain, on refait un filage et il refait quelques notes. Donc, il laisse très libre. Et en même temps, il dit juste ce qu’il ne veut pas, ce qui n’est pas juste, ce qu’on enlève, ce qu’on met dans la corbeille. Et en dehors de ça, on est très, très libre. Donc, je pense qu’on est beaucoup plus influencé par le public. C’est le public qui change beaucoup la façon de travailler. Parce que très paradoxalement, alors qu’on est l’œil dans l’œil pendant tout le spectacle, on n’est pas du tout face public. Moi, j’ai rarement joué un spectacle dans ma vie où le public est aussi important. C’est-à-dire qu’on sent tout de l’écoute du public. Certains soirs, il y a un silence de mort. Dès le début, ça oriente la représentation à un endroit. Certains soirs, ça rit immédiatement. Ça oriente encore. Donc, c’est comme si le public était peut-être presque, paradoxalement, le personnage principal. Mais c’est aussi lié au fait que chacune des choses qu’on dit, on sait que ça touche au cœur, quelque part, quelqu’un dans la salle à tous les moments de la pièce. Je crois que chacun peut se reconnaître dans une des phrases ou dans plusieurs. Donc, on en est conscient. Ça ne veut pas dire qu’on joue avec, mais ça veut dire qu’on le sait. Et donc, c’est paradoxalement un jeu à trois et pas simplement à deux.

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Oui, il y a une variable d’ajustement qui serait peut-être un peu le public. Vous travaillez souvent avec Pascal Rambert. Il a écrit des textes spécialement pour vous. C’est un compagnonnage précieux dans ce métier. Est-ce que c’est toujours facile ? Et comment vous décririez cette relation artistique avec lui ?

SN

Déjà, c’est incroyable d’avoir un auteur et un grand auteur qui écrit pour vous, qui vous inscrit même sur la page. Je m’appelle Stanislas, mais les personnages s’appellent Stan. Donc, c’est à la fois un privilège, c’est une responsabilité aussi. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’écrit pas à partir de nos vies. Il écrit toujours à partir de lui. Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Stan qu’il voudrait que ce soit nos vies. Par contre, il écrit pour les acteurs que nous sommes. Donc, il s’amuse. C’est-à-dire que, pour donner un exemple, dans Clôture de l’amour, je commence par ces 50 minutes d’attaque. Dans la pièce qu’il nous avait écrite ensuite, qui s’appelait Répétition, dans laquelle on jouait Audrey Bonnet, Emmanuel Béard, Denis Podalydès et moi, c’était moi qui terminais le spectacle. J’étais silencieux pendant 1h40 et je prenais la parole à la toute fin. Le dernier spectacle qu’on a fait, Mon absente, je suis quasiment tout le temps de dos. Je parle au HF. C’est-à-dire qu’il s’amuse, et ça, c’est formidable pour un acteur. Il s’amuse à créer des variations, finalement, par rapport à quelques-uns des acteurs qu’il retrouve. Je pense qu’Audrey et moi, on doit être ceux qu’il retrouve le plus souvent. Donc, moi, je suis d’abord en toute confiance. J’ai l’impression de parler cette langue-là. Donc, je n’ai aucune difficulté à la comprendre au sens large du terme. C’est comme si c’était une seconde langue. J’avais eu un petit peu ça, d’une autre manière, avec Falk Richter. J’ai travaillé longtemps avec un metteur en scène et auteur allemand, Falk Richter. Et donc, je ne peux pas me plaindre. C’est extrêmement confortable. C’est confortable à tout point de vue. Et aussi parce qu’il s’amuse à me faire faire des choses difficiles, c’est-à-dire à me déplacer, à m’en demander. Dans Architecture, il m’a fait travailler sur un mode beaucoup plus psychologisant que d’habitude, où je mettais mes tripes sur la table, scènes déchirantes avec un père, etc. Quelque chose que je ne faisais pas tellement souvent au théâtre. Donc, c’est intéressant pour moi aussi parce qu’il s’amuse, il me déplace. Et en même temps, il a dans la tête, je pense, chaque acteur, pour lui, représente une forme d’entité. Je ne sais pas comment dire. Moi, je suis une espèce de feu follet, comme ça, la plupart du temps. Audrey est plutôt un réceptacle de la violence des autres, etc. Enfin, il a aussi, il projette sur nous quelque chose qui n’est pas nous, ce qui est évidemment intéressant. Donc, non, c’est extrêmement précieux et extrêmement rare.

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Est-ce que lorsqu’une pièce a une telle longévité, il n’y a pas des difficultés qui apparaissent ? Je veux dire qu’entre la création et aujourd’hui, il y aura eu #MeToo, par exemple, et que les moments où votre personnage demande à celui d’Audrey de se relever, de vous regarder en face, alors même que vous lui assénez des coups verbaux, ces moments sont d’une violence identifiée et inouïe aujourd’hui. Est-ce que cela change votre rapport au texte, votre manière de le jouer ? Est-ce que la pièce prend justement une autre résonance aujourd’hui ?

SN

Absolument. C’est très juste. Et très particulier, surtout, c’est effectivement depuis 4-5 ans. C’est-à-dire que comme c’est un spectacle sur l’art du théâtre aussi, il n’y a pas de décor, quasiment, il y a juste deux acteurs qui se font face, c’est une diagonale, et puis au milieu du spectacle, la diagonale s’inverse. Donc, on est vraiment au b. a.-ba de l’art du théâtre, apparemment. Donc, à l’intérieur, tout repose sur qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on en fait. Et donc, il y a une théâtralité là-dedans à trouver, et très vite, Pascal m’avait poussé à être dans une forme d’excès de violence à la création, d’être trop, c’est-à-dire de prendre la partenaire comme vraiment un punching ball. Et effectivement, aujourd’hui, alors tout fait changer, la vie fait changer, c’est-à-dire au moment où j’ai créé le spectacle, je venais moi-même de vivre une séparation très difficile, dix ans plus tard, c’est l’inverse, je suis dans une relation formidable, c’est avec ça. Donc, tout change, tout change dans nos vies, dans nos têtes, avec ce texte qui brasse tellement de choses. Et en même temps, effectivement, la société bouge, la société change, les guerres arrivent. Oui, il y a #MeToo, mais il y a Gaza aussi, etc. C’est-à-dire qu’un spectacle qui traverse le temps, évidemment, en tant qu’acteur, tous les soirs, on entend quelque chose de différent. On sait que le public entend des choses différentes. Et effectivement, quand j’avais lu la pièce la première fois, j’avais dit à Pascal, en général, il y a 75-80% de femmes dans les salles de théâtre, je vais me faire haïr, parce que ce n’est vraiment pas le personnage aimable, on va dire, ce qui est intéressant. Moi, je m’invente des raisons de le défendre et de le sauver, mais dans le genre masculinité toxique, etc. et tout ça, on peut se dire que… Voilà. Donc, aujourd’hui, oui. Alors, par exemple, il y a un moment dans le spectacle qui est très clair pour moi. Quand on parle des enfants, de garder les enfants, qui est un des points les plus brûlants, je dirais, de ce qui se passe au moment de leur séparation, à la création, Pascal nous demandait, chacun, puisque c’est dans mon monologue et dans le sien, d’Audrey, d’aller vers l’autre avec l’intention de le ou de la frapper. Physiquement, on ne se touche jamais dans le spectacle, mais que le public sente ça. Aujourd’hui, je n’arrive plus à le faire. Par exemple ça, je ne peux pas le faire. Physiquement, je ne peux pas simuler. Je n’y arrive pas. Donc, je fais autre chose. J’ai trouvé autre chose. Il y a un moment dans le spectacle où je viens près d’elle et où je lui dis, tout près d’elle, je vais te tuer. Voilà. Avec les mots, bien sûr, mais ça, évidemment, je l’entends très, très différemment. Du coup, je trouve ça passionnant, évidemment. Moi, je suis archi contre tous les trucs de cancel culture et tout ça. Je trouve que c’est formidable d’entendre, justement, qu’est-ce qui grince, qu’est-ce qui déconne, qu’est-ce qui… Et en même temps, la pièce n’a aucune ambiguïté. Le mec se retrouve comme une flaque. C’est une pièce à la gloire de la façon dont cette femme… Mais oui, ça change. Ça change énormément dans la perception du public, encore une fois.

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Comment réussissez-vous à être toujours dans l’incarnation ? Car oui, il s’agit d’une rupture amoureuse à laquelle on assiste, de deux personnages qui portent chacun les prénoms de leur interprète, vous l’avez dit, et qui semblent être, comme vous, des acteurs. Mais au-delà de ces similitudes, il y a tout un dispositif qui signe le théâtre. Les enfants qui viennent interrompre le spectacle à sa césure pour réclamer le plateau et y répéter. Les ici que vous n’arrêtez pas de dire comme pour bien signifier que l’on est sur scène. Les allusions comiques à une absence de spectateurs qui sont pourtant là dans la salle, comble. Et ce texte au cordeau, un vrai texte de théâtre, dans le sens où il y a une corporéité, un rythme, une poésie, tout cela devrait nous amener à une certaine distanciation. Pourtant non, on est ému, on s’en vient à pleurer. Donc oui, comment réussissez-vous à incarner si bien ces émotions sur scène ?

SN

C’est le boulot. Tout le boulot est là. C’est le travail d’acteur. C’est la même question, mais c’est difficile de répondre parce que c’est le job. C’est-à-dire… Je pense voir bien le truc. Il y a une part énorme de technique dans le spectacle, par exemple. C’est-à-dire qu’on est à la fois très libre et en même temps, Pascal nous demande d’être dans une rythmique très particulière. Donc ce qui tient, c’est la langue et la rythmique de la langue. Donc elle est un garde-fou pour tout, c’est-à-dire pour ne pas devenir larmoyant, pour ne pas devenir non plus… Pascal veut que je sois excessif, mais il faut que je devienne un clown, etc. Donc je dirais que c’est… C’est le travail de l’acteur pour moi. C’est-à-dire que c’est un mélange entre une technique parfaite et puis l’autre part du travail de l’acteur, qui est d’aller chercher en soi comment les mots résonnent. Simplement, c’est-à-dire… particulièrement sur un texte où, à peu de choses près, je reconnais tout. Quand je dis reconnaître, c’est-à-dire que je peux mettre une image, un souvenir, un son, une chose qui m’est arrivée, qui est arrivée à d’autres. C’est quasiment sur chaque phrase. Donc d’une certaine manière, c’est du gâteau. Après, c’est comment est-ce qu’on ne fait pas que ça et c’est ça le travail. Quelque chose de l’art moyen, naturaliste, etc. Tout ça. Mais la théâtralité proposée par Pascal nous oblige à être dans cet écart-là, je dirais. Et puis, il y a les types d’acteurs aussi. Je pense qu’Audrey et moi… Peut-être qu’Audrey parlerait différemment, mais moi je suis un acteur qui s’investit énormément pendant, dans la langue. Et aux saluts, c’est absolument fini. Il n’y a aucune trace de ce qui m’est arrivé. C’est ce qui me plaît dans ce métier-là. Donc ça me permet d’autant plus, à l’intérieur, d’aller creuser dans des choses parfois dures, parfois violentes, parfois drôles et tout ça. Et puis de m’en débarrasser. Mais la force du texte, son exigence, fait que, pour répondre le plus précisément à la question, ça nous oblige à être tout le temps en travail, sans arrêt. On ne peut pas se reposer. C’est un spectacle. Et je pense que c’est ça aussi que les gens aiment. Ils sont un peu comme quand on est au cirque et qu’on voit les acrobates, qu’ils vont se casser la gueule. Parce que, par exemple, Pascal me demande de démarrer très fort le spectacle. Et par exemple, en répétition, dans les premières répétitions, au bout de 25 minutes, j’étais claqué. C’est-à-dire que je n’arrivais pas à gérer mon énergie. Je donnais tout au départ. Je n’avais plus de force après. Donc c’est toute une gestion des émotions, de la technique. Il faut avoir bien dormi la nuit devant. Il ne faut pas avoir trop picolé. Parce que sinon, ça ne marche pas.

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Même si la pièce est une performance textuelle, on n’arrête pas de le dire, n’avez-vous pas le sentiment qu’il s’agit aussi d’une pièce chorégraphique ?

SN

Oui, bonne question. Encore, je pense qu’une des choses essentielles… Pascal ne nous a pas dit tant de choses que ça en répétition, quand on a répété à la création. Mais il nous a dit une chose à un moment donné, qui nous est apparue paradoxale au moment où il l’a formulée. Il nous a dit que c’est un spectacle de danse. Et devant les pavés de textes qu’on avait à défendre, sur le fait qu’on est quasiment immobile, qu’on ne bouge pas vraiment beaucoup, il pouvait y avoir une torsion. Mais quand on est acteur, il faut savoir entendre. C’est ça qui est toujours compliqué quand on est acteur dans le rapport avec un metteur en scène. Donc je pense qu’Audrey et moi, on a su l’entendre chacun de notre manière. On s’est dit qu’il y avait quelque chose qu’il fallait fluidifier, libérer quelque chose dans la gestuelle en tout cas, que tout passe par l’ensemble du corps. Et on ne sait pas d’ailleurs si… Pascal n’a jamais voulu décider d’ailleurs pour le public. Est-ce que lui est chorégraphe, elle est danseuse ? Est-ce qu’il est metteur en scène, elle est actrice ? Bon, il pourrait être aussi, il pourrait travailler dans le milieu de la danse. Donc oui, il y a quelque chose de ça. Alors en même temps, il n’y a rien de véritablement chorégraphié au sens… Je ne sais pas, on n’a pas fait venir Loïc Touzé ou Mathilde Monnier pour arranger nos mouvements, je ne sais pas quoi. Mais effectivement, je pense que si le spectacle a cette couleur-là, c’est parce qu’il nous a lâché cette indication-là et qu’on s’en est emparé à notre façon.

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Parce que les corps sont vraiment extrêmement présents dans cet échange.

Il y a dans la salle de l’atelier énormément de rire. Je ne sais pas si c’est tout le temps comme ça, mais vous avez déjà dit un peu précédemment que pas forcément. Et on a l’impression presque que c’est une pièce de boulevard. C’est l’expression, c’est ce qui m’est arrivé. Et du coup, j’ai envie de vous demander, mais est-ce que c’est une pièce de boulevard ? Je ne crois pas. Ou est-ce que c’est une pièce qui est tributaire des codes du public d’un théâtre ? Ma question, c’est qu’est-ce que ça fait de jouer cette pièce dans ce théâtre-là, le théâtre de l’atelier, avec son histoire, son cadre magnifiquement mis en valeur par la scénographie ?

SN

Peut-être que c’est aussi une pièce de boulevard. Non, mais je pense que c’est ça le bon boulevard. Non, mais je pense que c’est la force de la pièce. C’est-à-dire que justement, elle échappe un petit peu. Je pense Pascal l’a écrite en réaction à beaucoup de choses qu’il voyait au théâtre. Des choses trop chargées dans les décors, dans les trucs, de ne pas aller assez à l’essentiel, d’affaiteries, de tas de choses comme ça. Dans une confiance forte dans le rapport de l’acteur, du texte et du public. Donc, je pense qu’elle est généreuse. Je pense qu’elle est généreuse dans l’écriture. Elle est généreuse dans ce qu’on en fait, nous, dans notre travail. Donc, elle est à même de toucher des publics très différents, pour répondre complètement. Le public du théâtre public, le public du théâtre privé, peut-être pas n’importe quel théâtre privé. On est au théâtre de l’Atelier, juste avant nous, il y a L’amante anglaise, Duras, tout ça. C’est pas non plus… Je sais pas, dans le Métro, on a des affiches à côté du Cake aux olives avec Philippe Chevalier et Bernard Mabille. Je pense que le public qui va voir le Cake aux olives est quand même pas le même qui va voir Clôture de l’Amour. Mais, finalement, comme c’est une pièce sur l’art du théâtre et sur les fondamentaux, finalement, de qu’est-ce que c’est que le théâtre, et puis aussi cette confiance dans le fait, je pense pour Pascal, qu’on peut faire du théâtre avec rien. Pourquoi est-ce que le spectacle a énormément tourné ? C’est parce qu’il coûte rien en tournée. On met un tapis de danse blanc par terre, des néons, on se met tous les deux. Il y a le costume, c’est le même depuis 13 ans qu’on joue le spectacle. Donc, c’est aussi… Ce qu’on aime aussi dans le spectacle, c’est qu’on peut faire du théâtre avec presque rien, du moment qu’on a un texte et qu’on a des acteurs qui tiennent la route. Et les réactions du public, les rires, ça dépend des spectacles. Je pense aussi que les gens rient beaucoup parce qu’ils se disent « c’est trop ». Il y a aussi un rire d’effroi. Ce n’est pas non plus le rire la gaudriole de Boulevard.

TAG

C’est pas les portes qui claquent.

SN

Vas-y, Simone, je te mets une claque sur les fesses. C’est… Le rire qui apparaît, est un rire, parfois, je pense aussi qui correspond à un truc de…

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C’est trop. Il y a un moment donné, parfois, c’est trop. Après cette reprise, quels sont vos projets artistiques à venir  ? La question en décembre au Théâtre Victor Hugo à Bagneux, je crois, et en janvier au Théâtre de la Concorde à Paris. Il y a une mise en scène de vous à l’Odéon en mai 2025.

SN

Pareil. On va rire, parce que c’est Feydeau. Ce n’est pas du Théâtre de Boulevard, c’est à l’Odéon. Je suis en tournée aussi avec un spectacle de Heiner Müller Quartett mis en scène par Jacques Vincey. Et… Oui, Feydeau. Alors La question Henri Alleg, ça c’est un spectacle que je tourne depuis un moment, qui est un spectacle que j’aime beaucoup, qui est à partir du témoignage d’Henri Alleg sur la façon dont il est torturé par les para français en Algérie. Henri Alleg, c’était le directeur d’Alger républicain. Publié aux éditions de minuit. Et Feydeau, en fait, c’est parce qu’en tant que metteur en scène, ça fait un bout de temps que je n’ai pas travaillé sur ce type de répertoire-là. J’ai fait Christine Angot, Claudine Galea, Marie Ndiaye, des sujets qui étaient un peu, on va dire, costauds, lourds, creusant des choses. Et j’avais envie de retravailler sur un autre. Je trouve que c’est très bien, tout le temps, de se désarçonner et de prendre des contre-pieds tout le temps pour ne pas s’endormir dans un travail. J’ai monté Feydeau il y a 30 ans, presque 30 ans, 20 ans. La puce à l’oreille, Théâtre de la Colline, et à Rennes. Et j’avais adoré ça, mais un peu pour les raisons pour lesquelles j’aime Rambert, c’est la précision de la langue, l’intelligence du théâtre, finalement. J’aime cette idée de travailler Feydeau à l’endroit du vertige, finalement, pas du tout chercher à faire entendre que Feydeau, c’est sérieux et tout ça, mais essayer de voir qu’est-ce qu’il trace dans une forme de vertige du théâtre. Et l’Hôtel du libre-échange et La puce à l’oreille, je dirais, sont deux machineries théâtrales assez dingues. Et puis, voilà, je me demandais aussi, parce que le théâtre ne va pas très bien aujourd’hui, on va dire, théâtre public et tout ça, s’il était encore possible de monter des spectacles avec 14 acteurs sur le plateau, là, on y arrive, donc c’est plutôt une bonne chose, ça va faire travailler une troupe de gens, il y aura une grosse tournée.

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C’est plutôt engageant. Stanislas Nordey, merci pour cet entretien.

vu à :
Théâtre de l'Atelier, Paris
photographie :
Marc Domage