Ballroom Online

closing party (arrivederci e grazie)

Alessandro Bernardeschi & Mauro Paccagnella

Les deux font la paire.

Et de trois.

Pour qui ne passe pas son temps à tailler le bout de gras avec danseurs et chorégraphes au bar du théâtre, on ne sait rien, ou presque, de ce qui se passe en dehors des plateaux : ni Gala ni Closer, et c’est heureux, la danse n’aimant pas les grands déballages impudiques. Jurisprudence Benjamin Millepied. Alors, dès qu’un·e interprète décide de se livrer, est-on circonspect, sauf s’iel le fait sur scène. Ah, Véronique Doisneau ! Qu’il est dur, ce métier.

Les deux danseurs quinquagénaires italiens installés en Belgique que sont Alessandro Bernardeschi et Mauro Paccagnella ont commencé à (se) raconter leur histoire commune en 2016 avec Happy hour, duo de théâtre tragi-comique ponctué d’interludes dansés, où tout y passait : l’adolescence, la politique, la danse, les relations, l’âge, leur amitié tangible habitant chaque scène aussi subtile que maîtrisée dans un délire émotionnel entre gravité et légèreté. Forts du succès critique et public de cette heure joyeuse, le duo poursuivait son récit avec El pueblo unido jamas sera vencido (2018), plus politique, plus douloureux, plus intime, plus universel. Leur respectabilité n’en fut que plus forte.

Pour clore leur trilogie de la mémoire, ils présentent dans cette période de vide Closing party (arrivederci e grazie), duo délicat et habité où ils font leurs adieux, ni plus ni moins.

L’écriture mêle le loufoque et le sensible avec une grande efficacité : on est pris aux tripes. En costumes noirs, ils empruntent au clown, au cirque, à la danse contemporaine lorsqu’elle se faisait dans la poussière et l’ombre du music hall. Changements à vue, perruques afro, jupes en tulle, baskets – toujours le noir, comme un deuil qui voudrait d’abord revenir sur les défunts. Les saillies sont mordantes quand ils évoquent les professionnels du spectacle, les programmateurs et leurs petits yeux froncés – dont la salle est alors partiellement remplie, Covid oblige. Un extrait du Boléro de Béjart, un rêve curieux où Bernardeschi renverse en voiture un chorégraphe contemporain connu, une chanson sur la notoriété tant aimée de Paccagnella, l’évocation de l’attentat de la gare de Bologne en 1980, un extrait de film, des photos, et l’âge, toujours l’âge, implacable et pourtant tellement porteur d’expérience. Que nous dit Closing party ? Que le corps dansant est éternel – c’est visible, chez eux, la précision, la maîtrise, alors même qu’ils se sont débarrassés de la performance physique – et que l’âme des danseurs est riche, leur esprit puissant, leur réflexion complexe et sensible. Et que faire l’expérience de leur expérience est sans doute la chose la plus réconfortante de ce début d’année 2021. Et comme nous ne vous en parlerions pas si vous ne pouviez pas en profiter un peu, la pièce est visible en ligne ici – en attendant de pouvoir partager l’émotion en direct avec eux.

Tournée : www.wooshingmachine.com

Charles A. Catherine

vu à :
Centre Wallonie-Bruxelles, Paris
photographie :
Stéphane Broc