Ballroom Online

banquet capital

Sylvain Creuzevault

fast food

Banquet capital, c’est un retour de manif en 1848, au lendemain de la proclamation de la 2ème République avec toutes les stars ici présentes de cette révolution. C’est le prétexte pour Creuzevault de faire dialoguer des noms qui ne sont plus, pour nous, le plus souvent, que des boulevards : Auguste Blanqui, Louis Blanc, Raspail, Barbès. Au risque d’en faire du théâtre de boulevard justement, à coup d’écriture au plateau mal rabotée et de direction d’acteurs très flottante.

Elle semblait alléchante, pédagogique pourtant cette idée, à propos même avec l’époque que nous vivons, l’idée de donner au Capital de Marx la forme dialoguée du Banquet de Platon. Mais Creuzevault semble oublier que les écrits de Platon, même s’ils en ont la forme, ne sont pas du théâtre, ne sont pas voués à être joués. Et l’un des convives, chez Platon, y poussent les autres à s’émerveiller, à s’étonner, à chercher une vérité. Une vérité qui permettrait de penser puis d’agir sur le monde. Ici, tout est vociféré à cent à l’heure. Pas de place pour l’émerveillement. Pas de place pour l’action non plus. Le texte, inspiré du Capital certes, est d’emblée désactivé par l’Histoire. Aujourd’hui, on le sait, ce qu’il énonce ne permettra pas de changer le monde. L’équipe au plateau ne semble plus y croire en tout cas. Alors, tout devient propice aux bons mots. Ils sont rares. De ceux d’acteurs qui sont dans l’entre soi, loin du travail prolétarien. Ils s’amusent oui, mais sans nous. Ils démontrent leur grande dextérité à articuler des pavés appris par cœur, débités à la sulfateuse, comme si tous étaient sous coke… C’est à ça qu’en est réduit la révolution ici. Une révolution imbitable, imbuvable malgré la profusion de vin sur la table. Comme s’il n’y avait plus d’espoir après tout. Posture punk. No future. Ici on est contreculture. Enfin contre culture oui mais à la MC93 tout de même.

Il n’y a pas de générosité dans cette mise en scène qui va tambour battant et ne se rend pas compte que la pensée, la véritable pensée a besoin de silences. D’ailleurs de mise en scène, il n’y a pas. Juste deux tables mises bout à bout et une lumière toujours la même qui éclaire en plein feu les acteurs comme les spectateurs. Ceux-ci en bifrontal peuvent avoir l’impression d’être conviés à ce banquet. Mais il n’en est rien. La joie de recevoir n’est pas la. On ne fait rien pour nous apprendre quelque chose. Puisqu’on n’y croit plus.

On assiste à un cours de philo de mauvaise qualité, une caricature avec les élèves dissipés qui refusent de s’assoir, le prof qui perd ses moyens. C’est potache. Jusqu’au moment du téléphone objet transitionnel de notre époque, anachronisme ici, à qui on fait miroiter l’holocauste, qui risque d’être brisé sous les coups d’un marteau sans faucille mais qui bien entendu sera sauvé.

Ce théâtre ne transgresse pas. En fait on se demande bien ce que ce théâtre fait à Marx. Pas du bien. On y fait parler des figures comme chez Honoré, on y gueule comme chez Macaigne. Comme si la convocation suffisait. Comme si l’invective permettait de ne plus avoir à diriger les acteurs. Où est la complexité des émotions ? Où est l’incarnation ?

La saison passée nous vous avions parlé de la Terre d’Anne Barbot qui repasse en avril au Théâtre de Châtillon : à peu près le même sujet, celui que les luttes du passé rejoignent celles de notre présent, mais là un texte, celui de Zola, ciselé, impeccable, choisi et surtout l’épaisseur de personnages dont on suit l’évolution sur des années.

Alors il faut être tout à fait honnête. Il y a des moments jouissifs dans ce spectacle : l’apparition du masque de Marx, petite poésie plastique ; Baudelaire et sa tête de navet ; surtout les interventions de Léo-Antonin Lutinier qui a lui seul mériterait un spectacle tant il est dans la maîtrise de son art. Et qu’en fait il s’agit de la version courte d’un spectacle fleuve remanié. C’est peut-être là le problème. Creuzevault sacrifie le talent qu’on lui connaissait pour élaborer un produit culturel, un objet de consommation, alors même qu’il voudrait dénoncer le capitalisme. Quadrature du cercle.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
MC93, Bobigny
photographie :
Jean-Louis Fernandez