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Re Chicchinella

Emma Dante

un règne culotté !

interview de Carmine Maringola
par Thomas Adam-Garnung et Camilla Pizzichillo

Dans l’écrin vibrant de La Colline, Emma Dante offre une fable étourdissante où le grotesque reflète nos abîmes. Avec Re Chicchinella, la metteuse en scène sicilienne sculpte un théâtre incantatoire, où l’humain, tour à tour majestueux et misérable, danse sur les contradictions qui le traversent. Cette œuvre baroque, qui clôture sa trilogie, mêle satire mordante et poésie sauvage, transformant le ridicule en tragédie lumineuse.

Inspirée de La papara de Giambattista Basile, Re Chicchinella dépasse le simple récit d’un roi tourmenté par une poule nichée en lui, le condamnant à pondre des œufs d’or. La pièce devient une parabole universelle sur la vanité du pouvoir et l’avidité humaine. Le roi, à la fois victime et bourreau, incarne une humanité dévorée par ses désirs. Autour de lui, une cour grotesque et avide danse dans une basse-cour burlesque où la richesse se mue en malédiction.

Dans ce théâtre total, le corps devient langage. Fidèle à son style intensément physique, Emma Dante transforme chaque mouvement en porteur de sens. Les comédiens, comme des pantins habités, incarnent leurs rôles avec une puissance viscérale. Le roi, interprété par l’expressif Carmine Maringola, se tord et se débat, son corps narratif exprimant une douleur que les mots ne peuvent traduire. Cette théâtralité organique explore les liens entre le sublime et le trivial, le grotesque et le tragique.

Malgré sa satire cruelle, Re Chicchinella rayonne d’une joie immense. La scénographie minimaliste, appuyée par un jeu de lumières magistral, plonge le spectateur dans un univers baroque où le merveilleux et le réel se confondent. Les contrastes entre pénombre et éclats dorés amplifient la dualité de la pièce : la noirceur de l’avidité humaine et la beauté désarmante de ses absurdités.

Emma Dante ne livre pas une morale, mais une méditation ouverte sur les désirs et contradictions qui hantent notre condition humaine. À travers cette fresque grotesque et sublime, elle invite à rire de nos misères et à danser sur nos certitudes brisées. Avec cette œuvre incandescente, la dramaturge affirme son statut de visionnaire du théâtre contemporain. Re Chicchinella est bien plus qu’un spectacle : c’est une expérience rare, une célébration de l’humain dans toute sa splendeur et ses failles, où la douleur fait rire et la joie émerge de nos absurdités.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
La Colline, Paris
photographie :
Masiar Pasquali