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The Silence

Falk Richter

politique

C’est la digne suite de Je suis Fassbinder, où déjà Stanislas Nordey se prenait pour Nordey lui-même se prenant pour le cinéaste allemand. Ici, Nordey incarne Falk Richter, l’auteur. Dans un jeu qui signe la théâtralité du propos puisque le vrai Falk Richter se retrouve à l’écran parlant avec sa propre mère. Il fait parler sa mère de ce que dans sa famille on a toujours voulu taire. Tous ces moments où le silence l’emporte alors qu’il faudrait peut-être crier. Tous ces moments où l’on est réduit au silence quand bien même on aurait un avis divergent sur ce qui se passe. Ça semble être une pièce d’intimité, Falk Richter y parle de son enfance, confrontant sa mère à ses dénégations, à sa réécriture de l’histoire familiale. C’est truffé d’humour. Un humour sombre qui peine à cacher les douleurs, les souligne même. Alors on pourrait penser que la pièce ne parle que de ça, des petits malheurs d’un des plus grands auteurs allemands d’aujourd’hui. Mais cette incursion dans l’intimité la plus triviale n’est qu’un moyen détourné pour nous parler de nous, de la situation politique dans laquelle nous sommes. Lorsque la mère de Richter lui assène que son enfance a été radieuse, elle n’est pas différente des responsables politiques qui nous présentent toujours leur décision comme sans alternative, limitant ainsi notre capacité à réagir. Lorsque Richter évoque le jour où il s’est fait tabasser dans la rue et que personne n’est venu lui porter secours, il ne parle pas que de la condition des homosexuels, il nous met face à nos lâchetés quotidiennes, ces moments où l’on décide de ne pas agir. Richter ne parle pas de son histoire. Il parle de notre histoire, de combien nous semblons bloqués dans notre passé, condamnés à le répéter, incapables d’inventer un avenir. D’ailleurs son histoire, on n’est même pas sûr que ce soit la sienne, s’il n’est pas en train de faire de la fiction maquillée de réalité. Et tout ça porté par un Stanislas Nordey seul en scène, avec sa diction au couteau si particulière, taillé à la serpe, quand Richter à l’écran semble tout en rondeur. C’est magistral. Un grand moment de théâtre. Nécessaire surtout dans les temps troublés que nous vivons pour mieux voir où nous en sommes. Car chaque épisode éclaire une facette de notre époque, comme ce père qui meurt sans qu’on se soit réconcilié avec lui. Et le cadavre du patriarcat nous empêche toujours de revenir dans la maison, nous reléguant au jardin. Ici, rien n’est au premier degré, c’est un miroir qu’on nous tend. À nous d’ouvrir les yeux.

Thomas Adam-Garnung

vu à :
MC93, Bobigny
photographie :
Jean Louis Fernandez